Si vous n’avez jamais lu Un lieu à soi de Virginia Woolf (encore souvent connu en français comme Une chambre à soi, bien qu’il s’agisse en réalité d’une erreur de traduction), lisez-le sans regarder sa date originale de parution, il se pourrait bien que vous soyez surpris·e.
En effet, bientôt cent ans après l’écriture de ces mots, il semblerait que les enjeux liés aux droits des femmes et des personnes sexisées aient toujours les mêmes bases : l’indépendance quant au genre masculin. Une indépendance financière, mais aussi morale, mais également créative. Les trois étant, pour l’autrice de cet ouvrage qui fait encore autorité aujourd’hui, intimement liés.

Ce que nous a appris la crise sanitaire du covid-19 quant aux inégalités
En 2020, nous avons dû passer plusieurs mois confiné·e·s. Certain·e·s d’entre nous ont été mis·e·s au chômage partiel, d’autres sont passé·e·s en télétravail. Ce remaniement des activités a chamboulé nos quotidiens et mis en avant que les inégalités au sein du foyer n’ont pas disparu, bien au contraire.
En effet, selon l’Observatoire des inégalités, le “partage des tâches domestiques et familiales ne progresse pas” : 80% des femmes consacrent au moins une heure par jour aux tâches domestiques contre 36% des hommes. Quant au soin aux enfants, “46 % des femmes, contre 29 % des hommes consacrent au moins une heure chaque jour à leurs enfants ou à un proche dépendant”, lit-on sur le même site internet.
Mais les inégalités ne s’arrêtent évidemment pas à la sphère privée : le monde du travail est également touché. On connaît notamment la notion de plafond de verre, qui sert à pointer du doigt les difficultés plus grandes qu’ont les femmes à gravir les échelons en entreprise. Que ce soit à cause de la charge maternelle, du sexisme, d’un congé maternité ou autre, les femmes sont discriminées à l’embauche mais également au quotidien, et de nombreux freins existent dans leur avancée professionnelle.
Le télétravail a en effet eu pour conséquence de revenir sur certains acquis liés aux droits des femmes et personnes sexisées de manière générale : l’Organisation International du Travail en mis en lumière une plus grande porosité des tâches des femmes, dont le travail domestique empiétait sur le travail rémunéré lorsque ces dernières étaient en télétravail. Là où les hommes vont plus facilement s’isoler ou mettre en place des règles tacites “on ne dérange pas papa de telle à telle heure”, les femmes vont être plus facilement dérangées par les tâches familiales pendant leurs horaires de travail.
“D’après l’enquête Coconel, en moyenne, un quart des femmes disposent d’un lieu dédié pour le télétravail, contre 41 % des hommes. Cet écart est encore plus accentué pour les cadres (29 % contre 47 % des hommes cadres). D’après l’enquête UGICT-CGT précitée, 52 % des répondantes en télétravail ne disposaient pas d’un matériel et d’un équipement adaptés, contre 42 % des hommes interrogés”, peut-on lire dans un rapport du Conseil économique social et environnemental.
Ainsi, pendant la pandémie de covid-19, la production scientifique des femmes chercheuses a baissé, alors que celle des hommes a, au contraire, augmenté pendant la même période, comme le montre cet article dédié aux productions scientifiques au Québec.
Un lieu à soi, vecteur d’émancipation féminine
Virginia Woolf s’exprime dans Un lieu à soi sur les raisons pour lesquelles les femmes n’écrivent pas, ou en tout cas, sont moins des écrivaines que les hommes. Pour elle, il faut deux conditions majeures pour pouvoir créer : 500 livres de rente et un espace clos pour travailler sans être dérangée.
Si le premier semble de plus en plus acquis grâce à l’investissement massif des femmes dans le salariat, le second, lui, peine à être acquis, comme on a pu le lire plus haut dans cet article. En effet, avoir un foyer, un toit, c’est bien, mais les femmes ont rarement du temps à elles, seules, pour réfléchir, rêver, flâner ou créer.
On a bien en tête les représentations de mères épuisées qui n’ont même pas de répit lorsqu’elles vont aux toilettes, leur bambin criant un “maman!” strident de l’autre côté de la porte (quand la porte est fermée …).
En effet, l’autrice liste dans un des chapitres, le fait que de nombreuses autrices de son siècle ou du précédent étaient souvent des femmes célibataires et/ou sans enfants. C’était d’ailleurs le cas de Virginia Woolf qui n’a jamais procréé, mais aussi Emily et Charlotte Brönte, ou encore Jane Austen, qui n’a d’ailleurs jamais souhaité se marier. “Une femme n’a pas à épouser un homme sous le simple prétexte qu’il le lui a demandé ou qu’il l’aime”, écrit-elle dans son roman Emma.
Bien sûr, être en couple, mariée ou mère, n’empêche pas d’être une femme libre et émancipée. Toutefois, le modèle familial classique que l’on connaît aujourd’hui, construit de toutes pièces par le patriarcat, est encore un risque potentiel d’aliénation pour les femmes. Virginia Woolf l’avait déjà pointé du doigt en 1929 lors de la publication de cet ouvrage, mais l’enfermement dans le foyer, ainsi que le poids de la charge mentale, domestique et maternelle, est un problème qui perdure et qui semble continuer d’empêcher les femmes, peu importe leurs objectifs de vie.
Par Bettina Zourli
Très bel article Émilie
Je m en vais de ce pas réserver cet ouvrage à la bibliothèque
Bises et à bientôt
Amicalement
Karine G.
Excellente initiative! C’est un grand classique de la littérature féministe, un ouvrage fondateur. N’hésite pas à nous en faire un retour 🙂
Amicalement