Vous n’avez sans doute pas pu passer à côté du débat qui anime jusqu’à notre
gouvernement, depuis de longs mois déjà, sur le sujet de l’écriture inclusive. Décrite comme
un “péril mortel” pour l’Académie française en 2017, l’écriture non sexiste, plus connue sous
le nom d’inclusive, ne cesse de faire parler d’elle. On vous propose de décrypter les
arguments de chaque camp pour enfin comprendre ce qui fait réellement débat et ce que
cette question dit de notre pays.
L’écriture inclusive, c’est quoi ?
Si l’on peut débattre sur l’appellation même, certaines personnes proposant par
exemple de parler plutôt d’écriture non sexiste, non masculine ou d’écriture féministe, le
fond du propos reste le même. L’écriture inclusive, c’est imaginer une langue française qui
ne soit pas empreinte de sexisme ; c’est par exemple s’attaquer à la règle du “masculin qui
l’emporte sur le féminin”.
L’objectif porte simplement sur la masculinisation de la langue pour faire comprendre aux
élèves, dès l’école, qu’un genre ne prime pas sur l’autre. Si cela peut paraître anodin,
beaucoup de détracteurs précisant qu’il “y a quand même plus important”, la question de
l’écriture est en réalité cruciale.
En effet, avez-vous déjà entendu parler du concept de “continuum des violences”? Pour en
arriver au féminicide par exemple, ou à des violences conjugales aussi présentes dans notre
société, il faut un terreau fertile permettant ces violences. La dépréciation millénaire de tout
ce qui est attribué au féminin participe indéniablement à ces violences.

Contre l’écriture inclusive ?
L’argument numéro un qui revient pour contrer un désir féministe de rendre notre
langue française plus égalitaire est la difficulté de lecture, notamment pour les personnes
dyslexiques, de l’écriture inclusive.
Si les ardents défenseurs d’une langue sexiste n’avaient auparavant jamais exprimé un
quelconque intérêt pour les personnes dyslexiques, ils s’érigent en porte-parole de ces
dernières pour contrer un débat pourtant nécessaire.
Pourtant, cet argument n’est pas recevable : il s’attarde uniquement sur la question du point
médian, qui peut en effet rendre la lecture d’un texte plus difficile. Pour autant, l’écriture
inclusive est actuellement un vaste chantier, on peut donc la faire vivre de plusieurs façons.
Notre chance réside dans l’incroyable diversité de notre langue : mots épicènes (neutres,
donc), utilisation systématique du féminin comme contrepied de l’utilisation banalisée du
masculin, ou encore des néologismes comme “iel” (désormais officialisé dans le dictionnaire
du Larousse) ou “toustes” au lieu du point médian qui donnerait il·elle, ou tous·tes.
Ce que ce débat dit de notre société
Si ce débat national qui semble persister (alors qu’en Belgique par exemple, les
documents des universités francophones sont globalement tous rédigés en écriture
inclusive) ne nous offre qu’un enseignement, c’est bien que la langue est politique !
Polina Panassenko, autrice de l’essai Tenir sa langue, suppose que « la grammaire n’est
peut-être qu’une grande crise de mégalomanie », en référence à Vaugelas qui décréta donc
en 1647 que “le genre masculin est le genre le plus noble”. Elle ajoute : “Toucher à la
langue, c’est toujours toucher à des préoccupations non linguistiques, des positions, des
questions sociales, morales et politiques.”
Quant à l’exclusion supposée pour les personnes dyslexiques : la langue française n’a, en
réalité, jamais été réellement accessible ! Elle est classiste, et a d’ailleurs été conçue pour
témoigner des rapports de classe. Le classisme, pour rappel, c’est une discrimination basée
sur l’appartenance à tel ou tel groupe social, avec pour origine des critères économiques.
Les règles grammaticales que nous connaissons et utilisons aujourd’hui, celles-là même qui
n’ont parfois aucun sens et qui s’expliquent uniquement par “c’est comme ça, il faut
apprendre par coeur” ont été érigées au 18ème siècle par un milieu bourgeois désireux
d’adapter une langue à leur rang.
D’ailleurs, aujourd’hui, on remarque que ce qui fait débat n’est pas la féminisation de tous
les noms de métiers (non, je n’ai vraiment entendu personne s’insurger contre l’emploi du
mot “ouvrière”, mais bien la féminisation des métiers prestigieux. Autrice, avocate, Madame
LA ministre, autant de postes longtemps refusés aux femmes sur simple base de leur genre
et qui peinent encore à être acceptés.
Faut-il interdire l’écriture inclusive ?
Alors oui, il faut interdire l’écriture inclusive, car qui dit écriture inclusive, dit réponse
à une grammaire non-inclusive. Celle-ci aussi doit être interdite, pour aboutir à une écriture
et une grammaire neutres. L’écriture inclusive ne devrait pas avoir à exister. La langue ne
devrait pas être l’expression d’un quelconque rapport de domination, et surtout, chacun et
chacune devrait pouvoir la modeler et la faire évoluer, se l’approprier.
N’oublions pas que la langue est vivante, et qu’un des principes mêmes de son existence
est son évolution. En 2016, une réforme annonçait d’ailleurs la simplification de certains
mots, comme oignon sans “i” ou nénuphar avec un “f”. Cette réforme avait d’ailleurs été
approuvée par l’Académie française elle-même.
Soyons clair·es : si l’écriture inclusive fait encore débat, c’est parce qu’il y a encore
beaucoup trop de personnes ayant intériorisé le sexisme en France.
Magnifique article. Je n’avais jamais pensé au côté classiste de la langue. Ouvrière ! Bien sûr personne n’a bronché sur ce terme quand il est né.
En revanche, j’écrirais plutôt soyons clair.e.s que soyons clair.es, je pinaille… je pinaille. Bravo en tout cas et merci
Je viens de faire l’acquisition, à l’occasion du second salon international des éditrices indépendantes de Limoges, d’une de vos publications. Il s’agit de l’essai de Marie de Gournay, « Égalite des hommes et des femmes ». Je vous remercie de cette heureuse initiative.
Un détail, pourtant : je lis, dès la page 8, « les chercheur.e.s universitaires se sont efforcé.e.s de répondre etc. » Ce choix d’une langue inclusive ne montre-t-il pas là les limites de cette dernière ? N’était-il pas plus opportun de parler éventuellement des « chercheurs et des chercheuses » plutôt que de créer de toute pièce cet horrible « chercheure ». Plus loin, vous faites le choix d’« auteures » qui ne me pose aucun problème, même si je rappelle qu’« autrices » (avant de connaître le purgatoire auquel les virilistes Vaugelas et Dupleix les ont destinées) était en usage au XVIe siècle, tout comme « chirurgienne » l’était encore sous la plume de Madame de Sévigné (citée par Littré).
Bref, on pourrait multiplier les exemples et débattre à l’envi. Loin de moi cette intention et je serais simplement tenté de dire : « vous voulez défendre la langue inclusive ? Chiche. » Mais il faut bien savoir que vous serez systématiquement confronté(e)s à des problèmes insolubles et des acrobaties linguistiques auxquelles la langue elle-même refusera de se plier. Et avant même de mener à bien votre généreuse et louable entreprise de féminisation (laquelle, à bien des égards s’impose), vous ferez figure de néo-réactionnaires lorsque les personnes non binaires s’inviteront dans le débat. Que proposerez-vous pour réconcilier ces dernières avec la langue quand il faudra choisir entre : « iel est content » et « iel est contente ». Sacré casse-tête ! Quant à l’immense Virginia Woolf, qui a merveilleusement (et sans ressentiment) su dire son fait à la gent masculine, pensez-vous la flatter davantage en la qualifiant de « plus grande écrivaine de son temps » ou de « plus grand écrivain de son temps » ? Et puisqu’il est question d’elle, rappelons que les sociétés anglo-saxonnes, qui utilisent une langue naturellement beaucoup plus inclusive (grâce, entre autres, au neutre), ne m’ont jamais paru faire preuve d’un féminisme exacerbé. Mais j’ai déjà été beaucoup trop long. Bon courage et bon vent à vos éditions.